SuperExposition de résidences, centre d'art
de Pontmain
, 2018



“Un univers noir et blanc, quadrillé et formellement délimité : c’est dans ce scénario, en dessins et en mots, qu’Olivier Garraud déploie son imaginaire avec la plus grande liberté. Sa relation à l’espace épouse des géométries variables : du wall drawing à la sculpture, du dessin format A4 aux films d’animation, ses compositions manipulent les signes, entre le poétique et le politique.”

Extrait du texte Quadriller le sens de la vie, d’Eva Prouteau

Olivier Garraud, ADAGP. Crédit photographie : centre d’art de Pontmain

QUADRILLER LE SENS DE LA VIE

Un univers noir et blanc, quadrillé et formellement délimité : c’est dans ce scénario, en dessins et en mots, qu’Olivier Garraud déploie son imaginaire avec la plus grande liberté. Sa relation à l’espace épouse des géométries variables : du wall drawing à la sculpture, du dessin format A4 aux films d’animation, ses compositions manipulent les signes, entre le poétique et le politique.

- OFFICE : But, tâche que l'on se donne à soi-même avec le sentiment d'un devoir à remplir.
- DESSIN : Art de représenter des objets (ou des idées, des sensations) par des moyens graphiques.

L’OFFICE DU DESSIN

Que cache ce titre délicatement guindé et bureaucratique, L’Office du dessin ? Ce projet d’envergure, qui poursuit sa croissance depuis 2016, révèle une entreprise aux ambitions paradoxales. Dans la forme, Olivier Garraud défend une esthétique modeste, « qui n’aurait l’air de rien » : son support, la feuille quadrillée, renvoie aux dessins des cahiers d’école, de ceux qui comblent l’ennui et autorisent de petites et grandes échappées. L’artiste utilise toujours les mêmes outils, des règles, des feutres, parfois des Rotring, et il se restreint strictement au noir et au blanc. 
Haut et fort, son expression graphique manifeste la pertinence de se dispenser de talent, d’arrêter de vouloir bien dessiner : une manière d’affirmer une autre voie, primitive et plus transversale, où le dessin s’échappe de l’art pour rejoindre l’économie du fanzine, l’efficience des strips synthétiques des comics ou l’ascétisme du schéma technique. De facto, le dessin d’Olivier Garraud ne pavane pas, il va à l’essentiel, en empruntant des chemins de non virtuosité, des représentations parfois maladroites, des perspectives qui n’en sont pas vraiment. 
Armé de cet outil efficient, l’artiste façonne son atlas personnel, qui comptabilise aujourd’hui près de 300 dessins numérotés et assumés en tant qu’Office du dessin. Les enjeux de ce corpus continuellement augmenté sont encyclopédiques et philosophiques : en effet, L’Office du dessin aspire à ressaisir ce vaste lieu commun, au sens propre comme au sens figuré, qu’est le monde. Sur un mode allusif et éclaté, sans avoir l’air d’y toucher, Olivier Garraud aborde les grands enjeux idéologiques du XXe siècle et sonde la psyché humaine, le tout avec une sorte de distance mélancolique et d’humour à froid. 

MOTS ET MOTIFS

Le langage joue un rôle central dans L’Office du dessin : Olivier Garraud porte une attention particulière aux mots et à leurs possibles instrumentalisations. Il cite la critique des médias avancée par le linguiste et militant américain Noam Chomsky1, et ses dessins posent souvent la question des effets des médias dans nos "démocraties de marché", intégrant des messages synthétiques, ou des légendes en forme de slogans. Tout y passe : le déterminisme social, le football, le culte de la personnalité, le consumérisme, les conspirations, Dieu et les SUV…
Dans l’esprit, l’Office du dessin pourrait rappeler Raymond Pettibon, pour ses dessins à l'encre noire, faussement maladroits, généralement assortis de commentaires engagés, énigmatiques et parfois violents. Chez l’artiste américain, on perçoit aussi des réminiscences grimaçantes de la bande dessinée américaine des années 1940-1950, et le désir constant de prendre pour sujet d’étude l'imaginaire collectif. S’il partage ce dernier point, Olivier Garraud choisit une tout autre esthétique graphique qui prend sa source dans le retrogaming, les écrans « Press Start », les bornes d’arcade et la Megadrive – un univers pixellisé qui répercuterait le lointain écho de la grille moderniste. Côté iconographie, certains motifs apparaissent de façon récurrente : le supermarché, la barrière, l’automobile, le salon générique des sitcoms télévisuelles…autant d’environnements qui racontent nos sociétés fragmentées et leur désenchantement palpable.

ÉCOSYSTÈME NOIR ET BLANC

Au fil de ses différents accrochages, L’Office du dessin s’adapte au lieu : Olivier Garraud prend en compte des considérations esthétiques et sémantiques, et fonctionne à l’intuition. Le regard circule librement au sein de cette polyphonie dessinée, ce grand bourdonnement où la symbiose du texte et de l'image traduit la simultanéité de plusieurs niveaux de perception. Écosystème complexe, traversé d’aphorismes et de saillies graphiques, L’Office du dessin connote nos questionnements existentiels et nos croyances, cartographiant l’esprit du temps, entre empathie et causticité.

LE CATALOGUE D’IDÉES 

Dans les multiples fonctions du dessin, on distingue la fonction d’anticipation, pour les dessins et esquisses de projet, la fonction d’investigation imaginative et le dessin de prospective, familier du monde de l’architecture et du design. À la croisée de ces fonctions, les dessins de l’Office du dessin constituent pour Olivier Garraud un vivier, un répertoire, un réservoir pour d’autres œuvres à venir. Ils sont du côté de l’hypothèse et contiennent des migrations de formes à l’infini : potentiellement, ils deviendront installation dans l’espace public ou wall drawing. Quoi qu’il en soit, ils préfigurent la définition de toute exposition : réfléchir visuellement.

Eva Prouteau

Texte écrit à l’occasion des résidences d’artistes au centre d’art de Pontmain en 2018 et réactualisé en 2022 pour la maquette de la monographie L’Office du dessin, FP & CF, 2025.


1 – Notamment, La Fabrication du consentement. De la propagande médiatique en démocratie, avec Edward Herman, Agone, 2008
Olivier GarraudL’Office du dessin2025
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